Dans l’existence de tout être vivant, il y a deux événements dont il ne pourra se souvenir, sa naissance et sa mort. Bien sûr, il y a les morts symboliques. Personnellement, je ne saurais vous dire combien j’en ai eu tellement qu’elles ont été nombreuses. Il y a celles que l’on se cause volontairement par désespoir, celles en cours du chemin infernal et dont on ne s’attend pas, il y a celles qui sont tapies dans l’ombre quand une dague empoisonnée nous frappe en plein cœur et puis il y a la plus redoutable. Celle que l’on regarde en face…
Combien de fois suis-je mort ? Dis-moi ma chère Alice, ma troublante complice. Combien de fois ai-je succombé à tes charmes ? Combien de fois m’as-tu vu renaître ? Que ce soit sur mon chemin, dans les pénombres de ces salles humides ou sur le parvis de tes temples. Combien de fois suis-je tombé ? Lorsque j’essaye de m’en souvenir, je perds mes mots jusqu’au point que je ne puisse compter. Il y en a eu tant et déjà, j’ai l’impression d’avoir vécu toute une éternité. La seule chose qui me revient en mémoire, c’est le rite que tu opères. L’impétrant de tes secrets, à force d’avoir succombé à tes supplices, l’a très bien compris.
Tout d’abord, il y a le déni, car nous ne voulons pas aller dans son creuset. C’est l’angoisse qui est responsable de cela, car nous n’avons peur que de ce que nous ne connaissons pas. L’inconnu et sa perspective de l’infini, est lorsque l’on n’est pas préparé, absolument effrayante. Nul ne sait ce qui va arriver, seuls resurgissent les souvenirs de l’amertume de cette vie passée encore présente, et nul ne sait ce que nous réserve l’avenir. Le golem de pierre que nous sommes, est poussé dans le brasier. Les flammes de la fournaise lèchent chaque partie du corps. Sel, soufre et mercure commencent à fondre. La Mort regarde les éléments qui s’écoulent pour ne former plus qu’une seule pierre.
L’œuvre est au noir, c’est la tristesse qui veut cela. La pierre est plongée subitement dans l’eau glaciale afin d’arrêter la fusion des éléments. L’opérante regarde ce caillou complètement calciné sous tous ses contours, scrutant méticuleusement afin de vérifier si l’intégralité à complètement fusionné. S’il le faut, elle n’hésite pas à replonger tout cela dans le brasier, replongeant après, afin de réveiller cette chose de sa torpeur, lui rappelant qu’arrive le moment où elle va frapper un grand coup.
Tous pensent que cette alchimiste mortifère n’a qu’une faux comme seul outillage. Mais en réalité, c’est un complet atelier dont elle dispose ! Ainsi, elle martèle sans cesse, de toute sa puissance, nous laissant comme seul répit, ce court moment qui sépare chaque coup de marteau. La puissance de l’acier est redoutable, elle n’arrête que lorsque cessent nos cantiques. Ainsi peut enfin commencer sa quantique. Elle plonge alors cette pierre dans son creuset. Les éléments de la colère bouillonnent, c’est l’œuvre qui passe au rouge. Il faut la laisser monter. Si celle-ci carbonise l’ouvrage, elle le laissera refroidir en le laissant de côté, durant l’instant d’une vie, pour qu’il suive l’identique procédure. Mais du rouge, elle passe au blanc, c’est un bon présage que l’on appelle la rage. Cela signifie que le cœur à enfin fusionné, et que de cette acceptation, elle peut procéder à la suite de ses opérations.
La pierre est retirée, elle est incandescente. Dans la pénombre de ce funeste atelier, elle ressemble à une étoile. C’est à ce moment, quand la lumière se reflète dans son regard, que la mort nous sourit. Elle reste là, contemplative, fière du travail accomplit. Mais cela ne dure qu’un temps, car la lumière n’est qu’éphémère dans cet état. Alors, elle prend délicatement le produit de son labeur entre ses pinces tout en la laissant refroidir. La ténébreuse rabaisse sa capuche, laissant découvrir enfin son joli minois de Dame Nature rayonnante de bonheur. Elle a réussi son Grand Œuvre. Elle n’a plus qu’à livrer ce diamant brut dans son autre atelier afin qu’elle taille ce joyau devenu désormais précieux. Elle va le polir jusqu’à ce qu’il devienne transparent. Il rejoindra, sa collection dans son firmament céleste afin que sa lumière scintille dans la voûte étoilée. Et sa lumière, sera comme ces étoiles flamboyantes, guidant les voyageurs égarés dans ces ténèbres. Pour que sa lumière guide les cœurs des hommes et des femmes de ce monde et qu’ils n’oublient pas que les belles histoires qu’ils doivent vivre ne demandant qu’à être écrites. Elles sont simplement suspendues au bout de leurs plumes…
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26 février 2017