Alchimie de l’âme

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La flamme de la bougie danse sous mes yeux. Son déhanché m’hypnotise, je n’arrive plus à détourner mon regard. Elle est lumière dans cette obscurité, et l’ombre de son flamenco se reflète sur les murs blancs de la pièce. Je ne peux plus bouger, mes forces m’abandonnent. La lueur lèche mon visage, ce corps à demi dénudé. Je voudrais me lever, souffler dessus et laisser les ténèbres nocturnes m’envahir, mais je n’ai plus de volonté. Douce et intense à la fois, sa chaleur portant à un mètre de moi, irradie à l’intérieur de mon âme. J’apprécie cet instant, et pourtant, je sais qu’il me consume. Comment peut-on laisser son esprit ainsi en le précipitant dans les flammes ? Est-ce de l’inconscience ou un désir profond de ressentir ?

La cire coule lentement. L’odeur monte à mes narines, le parfum m’enivre. Déjà, je sais que ce jeu est dangereux, le point de non-retour a été franchi depuis bien longtemps. J’ai passé tant d’étapes, alors que peut-il m’arriver de pire ? J’ai déjà passé les épreuves les plus dures, celle-ci ne peut être qu’une simple formalité. Dans mon regard d’obsidienne, la flamme lui donne une clarté que je n’avais encore jamais vu. Oui, l’envie de la transformation est encore là. L’alchimie de l’instant entame un nouveau processus. La calcination. Je le sais… Je vois la flamme se rapprocher de moi, sensuellement, telle une panthère qui s’approche de sa proie. Paralysé, je suis à sa merci, mais je n’ai plus peur. Je la laisse s’avancer vers moi…

Le feu m’embrase. Mon âme commence à se consumer. Dans la chambre, une odeur de musc se fait ressentir. La tête me tourne, la vision se trouble. Dans mon esprit, la danseuse de flamenco se dévoile. Les volutes de ma cigarette et de l’encens m’enchaînent et se déchaînent. Je deviens un véritable brasier. L’écorce de mon corps devient ébène, puis charbon, tandis que le cœur se teinte de la couleur des braises que l’on souffle pour attiser l’incendie de la passion. Mes dernières forces m’abandonnent définitivement… La flamme s’éteint… Et dans mon lit, où j’étais assis, il ne reste plus qu’un corps calciné qui ne demande qu’a ce que l’on lui insuffle le souffle de la vie…

***

Le réveil fut difficile. Le feu avait continué toute la nuit, et c’est trempé de sueur que je m’étais réveillé. J’étais complètement courbaturé, chacun de mes os s’étaient consumés. Étrange ressentiment d’être recouvert de poussière, comme si la sudation avait extirpé toutes les impuretés de mon être. Je descendis les escaliers, les yeux encore bouffis d’un sommeil qui avait trop duré. Je me sentais sale, et je n’avais qu’une envie, celle de laver ce corps que j’imaginai recouvert de cendres.

Je tournai le mitigeur, et l’eau commença à couler. Au départ, elle me glaça littéralement. Le liquide, devenant de plus en plus agréable, glissait le long de mon corps encore tiède. Comme la veille, je ne pouvais bouger. Je ressentais les caresses ondines, elle retirait l’épaisse couche sur mon épiderme. Elle s’infiltrait à travers les pores. Je ne pouvais l’arrêter, rapidement, elle prit le contrôle. Je n’étais plus qu’un automate de chair qui se laissait faire. L’odeur de l’ambre me vint, j’ouvris les yeux, et j’ai eut durant un instant de voir une substance noire tourbillonnante s’échapper de la bonde. L’eau retirait tout ce qu’il y avait de superflu, m’enveloppant complètement, éliminant toutes ces impuretés au plus profond de mon être.

Tandis que le liquide finissait d’épurer les parties les plus intimes, je réalisais que cette nuit, le corps, l’esprit et le cœur avaient fusionnés. Ils avaient cuit lentement, afin que chacun d’eux fonde, se mélange pour ne former plus qu’un. Le processus était commencé, et rien ne pouvait le stopper dès à présent. C’est à cet instant que l’eau qui coulait devenait à mon avis beaucoup plus limpide. Je saisis le pommeau de la douche, et aspergeai mon visage une dernière fois.

Devant la glace, je fis ce rituel du rasage que je connaissais sur le bout des doigts, retirant les poils disgracieux sur mon crâne et mes joues. Je mis un peu de crème, afin que la peau ne soit pas trop sèche. Puis durant un instant, je regardai cet homme derrière ce miroir. Il me semblait le connaître, de l’avoir déjà connu dans une de mes nombreuses vies. Les yeux encore rougis par la chaleur de l’eau et le savon, je lui esquissai un petit sourire, puis un clin d’œil. Puis, finalement, je pris ce petit flacon d’ambre noir et m’aspergeais de quelques volutes de parfum. L’apparence était agréable, mais il manquait encore, je regardai tout autour de moi. Errant dans mon appartement en quête afin de combler ce manque. Et c’est en regardant par la fenêtre que je compris que ce que je recherchai se trouvait dehors…

***

Je n’avais jamais encore fait cela, m’asseoir, ne pas penser, ne pas me poser de question. Juste regarder le temps qui passe. Je pourrais ne pas être là, pour les habitants de ce village, c’était comme si j’étais invisible. Je les observais, tout simplement, leurs mouvements étaient tels les tic-tacs d’une horloge que l’on regarde inlassablement. Toujours pressés, ils courent sans cesse, les yeux rivés sur leurs montres ou téléphones, le temps file sous leurs doigts. Ils voudraient saisir l’instant, mais ils ne prennent pas le temps d’avoir le temps…

J’observai, j’écoutai et en restant silencieux attentif à ce monde qui m’entourait, j’apprenais. L’air froid de décembre semblait me tenir la main afin que je me sente moins seul. Les sylphes aériens caressaient mon visage et m’apportaient à mes narines des odeurs d’oranges et de chocolat chaud. J’aurais aimé écrire, prendre des notes de ce que j’avais à la portée de mon regard, mais je n’y arrivais pas. Mon stylo restait au chaud sous mon manteau de laine. Non, je n’avais que cela à faire, rester immobile et laisser l’air du temps s’imprégner en moi. Les données qu’il apportait s’imprégnaient dans mon esprit. Le tout se gravait dans mon esprit. Les mouvements des personnes et des voitures étaient comme ceux du tailleur de pierres qui ciselait cette nouvelle matière qui se découvrait peu à peu après de multiple transformation.

C’est la troisième étape, la sublimation. Quand l’œuvre est proche de l’acte final, on lui insuffle de nouveaux éléments afin qu’il ait ce petit quelque chose qui le rend unique et précieux. C’est une des étapes la plus longue, car il faut prendre le temps, ne pas se presser afin que les facettes et le cœur puisse être les plus nets et transparents pour que lorsque la lumière se reflétera, elle puisse donner un éclat éblouissant. Je ne sais combien de temps, je suis resté ainsi. Quand la nuit a commencé à tomber, je suis rentré chez moi. J’en avais vu assez, le mouvement des villageois commençait à s’affoler, c’était l’heure de pointe. La tête baissée, courant de partout, pestant et maugréant contre le temps, l’argent et la politique, l’horloge semblait être détraquée. J’aurais aimé leur dire de prendre le temps, mais cela ne servait à rien ? Trop préoccupés à le perdre, ils n’auraient pas compris le sens de mes paroles.

Lorsque je fus rentré, je me posais dans cette chambre où tout avait commencé. J’allumais des bougies, afin de pouvoir revoir le ballet des flammes qui colorait les murs blancs. Je me sentais serein, complet, mais je savais qu’il manquait une dernière chose pour que la métamorphose soit enfin achevée. Je fermai les yeux, et inspirai profondément. Les souvenirs me revinrent en mémoire et une larme perla le long de ma joue…

***

Je me rappelais de l’époque où je n’étais qu’un homme. J’avais des rêves, et je voulais les réaliser. J’ étais parti dans de multiples aventures, j’avais parcouru l’Europe, mais tout cela paraissait si fade. Il me manquait une chose essentielle, je devais surtout me réaliser. J’avais passé des épreuves, j’en avais retenu les leçons, et à force de trop regarder mes échecs, j’en avais oublié de voir mes réussites. Ces beaux moments, je les avais laissé filer entre mes doigts, j’étais comme ces villageois, perdant mon temps au lieu de le prendre. J’avais goûté à tant de saveurs et c’est l’amertume dont je me souvenais particulièrement ? Pourtant, j’avais goûté aux délices du miel, aux peaux sucrées et douces. Mais je les avais perdus, n’arrivant pas à m’aimer, je ne pouvais savoir ce qu’était l’amour.

La flamme de la bougie dansait devant moi, je regardais son rituel, tout en souriant. Une journée s’était écoulée, elle aurait pu sembler banale pour certains, mais pour moi… Je venais d’achever ma transformation, et à un jour de la fin de mes vacances, tout ceci prenait une tournure symbolique. J’avais les bases, quelques principes, mais je partais dans tous les sens. Je n’arrivais pas à canaliser cette énergie qui était en moi. Maintenant, je savais comment replier l’espace et le temps, lire et écrire dans les âmes, mais j’avais encore beaucoup de choses à apprendre. Pour y arriver, je devais tout d’abord être à maturation, mon âme s’est embrasée durant la calcification. Puis, j’avais enlevé ces impuretés durant la purification et la sublimation à permis de solidifier et améliorer le tout. Au fond de ma poitrine, je ressentais quelque chose. C’était la dernière étape qui commençait, l’incandescence…

Une douce chaleur semblait resplendir au plus profond de moi, sourire béat et lumière dans les yeux, je ressentais cette sensation que ne pensait jamais ressentir, la complétude. Cette nuit, je savais que les muses viendraient dormir avec moi, m’enveloppant délicatement et me chuchotant au creux de mon oreille de douces et belles promesses. Dans la pénombre, j’avais l’impression de voir partir l’homme que j’étais, s’estompant peu à peu comme s’il n’avait jamais existé. Minuit venait de passer, et je me retrouvais seul dans cette chambre avec comme seule compagnie, cette flamme qui dansait toujours pour moi. Je me levais, approchais mon visage puis soufflai dessus afin de la remercier. Je m’allongeai afin de pouvoir dormir, les yeux fermés, le souvenir de sa danse me revenait en mémoire. Le sommeil arrivant, la flamme devint étoile, et depuis, elle ne cesse de danser dans mon cœur…

©S.VCopyright N°00060258-1

 

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