
Jour 14,
Il est évident que depuis le début de cette crise sanitaire, la fréquentation est à la baisse. Progressivement, au fil des annonces et restrictions, les bus, métros, trams et funiculaires sont bien souvent déserts. Le réseau s’adapte et continue son rôle premier qui est de relier ses voyageurs et les lieux. Bien que moins fréquenté, le réseau reste inoxydable et continuer sa mission de service public.
Je me souviens encore de ces rames ou véhicules bondés. Cela n’était pas si loin, tous avaient le regard vissé sur leurs téléphones et les oreilles obstruées par leurs écouteurs. Tous se croisaient, mais personnes ne se regardaient. Beaucoup râlaient des retards, des perturbations et parfois du manque de civisme. C’était il y a quelques semaines, mais au fil des jours écoulés, cela me semble être une éternité. Je me souviens également de ces quais bondés lorsque j’arrivais, le bus se remplissait en l’espace de quelques secondes pour le traditionnel « collé-serré » des heures de pointes. Et durant ce temps, j’écoutais, impassible derrière mon poste de conduite, le brouhaha silencieux des vies que je transportais.
Depuis le risque de contamination et le confinement, le réseau s’est déserté. Mais le service public répond présent. Lorsque l’on se croise entre collègue ou confrère d’un autre service, on se fait un signe de la main afin de se saluer et ce pouce levé afin de vérifier si tout se passe bien de notre côté. Depuis ces jours, malgré les nombreux absents, le réseau s’est renforcé et semble s’étendre. Lors de mes pauses au terminus, je retrouve un peu le temps de souffler, parfois de voler quelques clichés que je peux partager afin d’essayer d’égayer le quotidien de ceux qui sont confinés. Les rares passants et voyageurs viennent me saluer et me posent des questions, afin d’avoir un instant de conversation. On échange sur le petit dernier, ou sur le quotidien. J’essaye de rassurer, et refusant de me masquer le visage, je continue de sourire avec un regard compatissant. J’écoute leurs inquiétudes et j’essaye de trouver les mots qui sauront les réconforter. Un écran, un robot, un algorithme ou une application ne savent pas faire cela. Il n’y a qu’un humain qui peut faire cela. C’est le sens caché du réseau, il continue de relier les humains entre eux. Il est lui-même connecté à une autre réseau qui est connecté à un autre. C’est ce que l’on appelle l’inter-connectivité !
Cette profession que je pratique depuis près d’un quart de siècle et que j’ai effectué sous tous ses aspects possibles m’ont instruit et enseigné sur la nature humaine. J’assiste, en tant que témoin, à l’évolution de notre société. J’observe, j’écoute et j’apprends. Je comprends désormais le sens caché de ma profession. Bien conduire ne suffit pas, pour cela il faut également bien se conduire. Et je sais que nombreux de mes collègues devant le devoir à accomplir comprennent enfin cette subtilité.
Les hommes, les femmes passent et empruntent ce dédale urbain. Au fil du temps qui s’écoule, le réseau continue de s’adapter. Il se régénère en fonction de la demande. Loin d’être banal, il prend le sens de « Comme Un » afin de relier chacun d’entre nous. Il continue sans cesse d’évoluer afin que dans nos quotidiens, nous puissions continuer de voyager à travers l’espace et le temps…
(À suivre…)
Texte et Photos : ©Stéphane Lévêque – 29 mars 2020