Jour 20 – Encre noire pour idées claires

Jour 20,

Lors du début d’une épreuve, il n’y a que deux points que nous ne pouvons voir. Il y a le point de départ où l’on se trouve, et le point d’arrivée que l’on espère atteindre rapidement. Ce n’est que plus tard, tout le long de notre parcours que d’autres points importants se dévoilent peu à peu. Nous avons tous conscience que le point de « non-retour » a été franchi dès nos premiers pas. Plus rien ne sera comme avant, ce monde que nous avons laissé dehors est en cours de transformation et chacun de nous, dans son espace de confinement est en cours de transmutation.

Si cela fait déjà 20 jours, que pour nous cela semble long, nous avons encore à patienter. C’est un processus de macération d’où se dégage ce qu’il y a en nous. Ce sont nos peurs qui ne peuvent plus se dissimuler qui commencent à émerger. Nous sommes tous différents et donc nous avons tous une manière différente d’extérioriser cela. Certains le font par des accès de violence envers soi-même ou ses congénères, d’autres le font par la prise de parole en diffusant ses opinions mais d’autres l’extériorisent par d’autres moyens comme le chant, l’activité physique, la création et parfois même en les canalisant par la prière ou la méditation. Cela signifie que nous approchons progressivement de notre centre névralgique. C’est à ce moment qu’intervient notre point de rupture. C’est l’instant où l’on se retrouve face à la bête qui est en nous…

Cette bête, que j’aime également appeler « démon complexe »  fait partie intégrante de nous. Elle est cachée dans partie d’ombre. On ne peut la fuir, car elle revient toujours afin de nous faire face. On ne peut la combattre ou la tuer, car en agissant ainsi, le mal qu’on lui inflige nous cause en même temps de graves blessures. Cette partie sombre de nous, on ne peut qu’apprendre à vivre avec. Pour cela, il faut l’étudier, l’examiner scrupuleusement sous toutes ses formes, en la terrassant (dans le sens de mettre à plat), cela nous permet de l’apprivoiser et ainsi de vivre avec. C’est le quatrième point de notre parcours, c’est le point de fusion.

Une fois cette dualité dépassée, on peut ensuite continuer sa course. Mais le cinquième et dernier point survient qu’a l’instant où le temps s’arrête. La course devient alors superflu, et on cesse de courir après le temps. Tout se ralentit et on comprend enfin que prendre son temps permet de ne pas le perdre. C’est le point de bascule où l’on semble basculer dans une autre dimension que l’on apprend à connaître. Nos préoccupations (ou évènements qui ne sont pas encore arrivés) deviennent subitement insignifiant et le monde qui nous entoure devient compréhensible.

Nous vivions dans un monde qui allait si vite, éreinté par une course folle au progrès, au profit ou au confort. Dans le regard de l’autre, scintillait cette part de nous même que l’on appelle « Altérité ». Cet autre qui a peur, qui ne comprend pas, nous avons la possibilité de l’aider. Mais on ne peut venir en aide a quelqu’un qui ne le désire pas. Nous ne sommes pas tous égaux dans nos parcours personnels. On ne peut que scintiller afin de devenir exemplaire, devenant ainsi un point de repère pour les autres.

Comme vous le devinez, ce chemin, je l’ai parcouru il y a bien longtemps. Je me suis engagé dans cette voie en décembre 2012. Ces processus, je les connais par cœur, car j’ai longuement sinué afin de retrouver mon chemin alors que je me croyais perdu. Je sais que l’avenir peut se modifier, le temps n’a plus de secret pour moi. Alors, afin d’avoir les idées claires lors d’instant important, afin d’évacuer mes angoisses, je prépare une macération de galles de chêne. Celles-ci se récoltent en février lors des dernières gelées. Elles proviennent des insectes qui ont piqué les troncs afin d’y pondre leurs œufs. Je les casse, les fait macérer quelques jours afin qu’elles diffusent leurs tanins. Celui-ci sera filtré, puis chauffé. Une fois réduit, j’y ajouterais du sulfure de fer afin que cela provoque une réaction chimique. Le liquide virera au noir, mais encore chaud, j’ajouterais ensuite de la gomme arabique. C’est ainsi que je réalise ma propre encre, issue de mes propres noirceurs, filtrés maintes fois par les étapes que j’ai déjà traversées.

Cette encre, je l’utilise régulièrement. J’écris avec, je dessine et calligraphie avec. J’ai recherché à réaliser différentes couleurs, en utilisant d’autres produits et ingrédients. J’ai défragmenté la lumière en réalisant les sept couleurs de l’arc-en-ciel, j’ai réalisé mes propres outils d’écriture afin d’aller rechercher ses secrets. Il ne me reste plus qu’une étape, celle de réaliser le support papier. Dans mes archives, j’avais ce sac de sciure de bois. J’ai réussi à récupérer de l’amidon avec quelques éléments plutôt étonnant mais courant et je suis en train de concevoir les éléments qui vont me permettre d’étaler cette pâte qui réalisera mes premières feuilles de papier. Malgré mon travail qui continue malgré tout, j’ai de quoi m’occuper pour les prochains jours.

Cette période que nous traversons m’inspire fortement. Ce journal d’un intermittent de confinement que j’écris désormais régulièrement me permet de reprendre la plume alors que je l’avais mis de côté. Je pourrais écrire tant de choses, mais en voyant les maux de mes congénères, j’essaye de poser des mots afin d’apporter un peu de réconfort. Je sais que certains peuvent toucher, d’autres blesser. La plume est plus forte que l’épée, comme disaient les poètes d’antan. Mais aujourd’hui, un clic de souris peut faire également les mêmes dégâts qu’une arme de destruction massive en partageant ce qui peut continuer de propager la peur et la haine. Alors, j’ai fait le choix d’écrire ! Encore et encore, afin de vous rappeler que nous ne sommes pas perdus. Nous allons simplement vers un nouveau monde encore inconnu…

« Espace, frontière de l’infini, vers lequel voyage notre vaisseau spatial.
Sa mission: Explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations, et au mépris du danger, reculer l’impossible » – Gene Roddenburry (Créateur de Star Trek)

Texte et Photo : ©Stéphane Lévêque – 4 avril 2020

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